150 ANNÉES D’HISTOIRE DE LA SOCIÉTÉ ROYALE DE NUMISMATIQUE DE
BELGIQUE
(M. Colaert)
(texte publié en 1991 à l’occasion du 150ième anniversaire de la Société)
1991 est pour la Société Royale de Numismatique de Belgique l’année de trois anniversaires prestigieux : le 150e de sa
fondation, le 100e du premier Congrès International de Numismatique qu’elle organisa en 1891 et la 150e année, enfin, de la publication de son
organe, la Revue Belge de Numismatique et de Sigillographie.
Fondée en 1841, elle est parmi les plus anciennes sociétés numismatiques du monde toujours en activité, après la
Royal Numismatic Society qui la précéda de cinq ans. Elle célébra dans l’intimité de ses membres, en 1866, son 25e anniversaire et reçut à
cette occasion de S.M. le Roi Léopold II, l’autorisation de s’intituler société royale. Elle fêta avec faste, en 1891, son 50e anniversaire, en
invitant tous les numismates du monde à prendre part à un congrès international, origine d’une tradition aujourd’hui profondément établie et dont
le congrès de Bruxelles de 1991 sera la XIe édition.
Ni le 75e anniversaire, en 1916, ni le 100e, en 1941, ne purent être célébrés, car on était chaque fois en pleine
guerre mondiale. C’est pourquoi la Société s’attacha à donner, en 1966, un éclat particulier à son 125e anniversaire par une importante
exposition, deux séances académiques et un banquet de clôture, honorés de l’assistance de nombreux délégués étrangers. S.M. le Roi fit à la
Société le double honneur de lui accorder le rare privilège de son Haut Patronage et de visiter l’exposition.
La Société a célébré, le 9 mars 1991, au cours de son assemblée annuelle statutaire, dans l’intimité de ses
membres, ses 150 ans d’existence. Elle les célébrera en présence de toute la communauté numismatique internationale à l’occasion du XIe Congrès.
C’est allègrement que la Société Royale de Numismatique de Belgique porte son siècle et demi d’âge. Elle manifeste,
d’année en année, une vitalité équilibrée, comme un navire qui a atteint sa vitesse de croisière. Ses activités ont une cadence régulière.
Ses membres se réunissent huit ou neuf fois par an, dont deux fois en assemblées générales : la statutaire qui doit se tenir obligatoirement à
Bruxelles dans le courant du mois de mars, et la réunion d’été qui, avec la même exigence, se tient en dehors de la capitale ; un usage bien
établi dirige les participants une année vers le nord et l’autre vers le sud du pays. Une ou plusieurs communications sont au programme de chaque
séance. La Revue Belge de Numismatique et de Sigillographie qui est, sur le plan extérieur, la manifestation la plus affirmée de la
Société et dont l’audience est mondiale, paraît avec une régularité satisfaisante. Les contributions y sont nombreuses et un schéma est
scrupuleusement respecté : des mémoires, des mélanges (trouvailles, notes, faits divers), des recensions, depuis 1988 une bibliographie nationale
annuelle, les procès-verbaux des réunions, le souvenir des disparus, la liste des membres. Celle-ci s’enrichit presque chaque année de quelques
unités. Elle est ainsi passée de 184 membres des diverses catégories en 1970, à 298 fin 1990. L’assistance aux séances reflète ce progrès,
remarquable surtout par l’arrivée de nombreux jeunes: étudiants, thésistes, docteurs. Cette croissance qui se poursuit depuis plus d’un quart de
siècle, atteste que si par son ancienneté, la Société se classe dans l’âge mûr, elle est loin encore de la vieillesse.
Comment en est-on arrivé là? La Société a-t-elle toujours eu la même physionomie? Ses fondateurs l’avaient-elle
conçue telle qu’elle existe aujourd’hui? En fait, la gestation fut longue et une vingtaine d’années fut nécessaire pour arriver à une structure
assez semblable à celle d’aujourd’hui. La vie de la Société prit alors une cadence régulière, avec quelques points forts, mais aussi deux
cassures, dues aux deux guerres mondiales. La première surtout fut particulièrement néfaste. Elle causa à la Société un dommage dont elle mit
des années à se relever.
Comment découvrir ce passé?
On connaît le triste sort des archives de nombreuses associations privées. Exposées à l’aléa d’un décès, d’un
déménagement ou tout simplement d’un désintérêt, elles sont rarement conservées longtemps. La Société belge se trouve, à cet égard, dans une
situation beaucoup plus favorable. Elle a gardé un grand nombre de documents. Les dossiers qui subsistent sont en général ceux des secrétaires et
des trésoriers. En outre, elle a, sporadiquement à l’origine, mais bientôt régulièrement, publié, dans la Revue, les procès-verbaux de
ses réunions et, annuellement, la liste de ses membres. C’est une source exceptionnelle de renseignements. La Revue n’est-elle pas d’ailleurs
le premier témoin de l’activité de la Société, puisqu’elle a toujours été un de ses objectifs essentiels? Ne négligeons pas, enfin, le
témoignage métallique : des médailles, des jetons rappellent le souvenir de membres éminents, de circonstances spéciales, ou simplement des
activités annuelles.
La naissance de la Société s’est faite dans un environnement favorable.
Depuis la Renaissance au moins, il y a dans les anciens Pays-Bas des amateurs et des collectionneurs de « médailles »,
comme on appelait, à l’époque, les monnaies anciennes. Tous les cabinets de « curiosités » en contenaient. Charles de Lorraine, gouverneur des
Pays-Bas sous Marie-Thérèse, les recherchait. L’État lui-même s’était mis à s’y intéresser. Un arrêté royal du 8 août 1835 avait créé un
«Musée d’armes anciennes, d’armures et objets d’art et de numismatique». Il n’existait cependant aucune collection nationale de monnaies. On
charge donc J. P. Braemt, graveur de la Monnaie, d’en acquérir. Dès le 2 août 1838 le département numismatique est rattaché à la Bibliothèque
Royale, créée, elle, le 19 juin 1837. L’État rachètera aussi la collection de la Ville de Bruxelles.
À ces circonstances s’ajoutait l’exemple de l’étranger: la Revue numismatique avait vu le jour en France en 1836.
La même année était fondée, à Londres, la Numismatic Society, aujourd’hui Royal Numismatic Society qui a, en 1986, fêté son 150e anniversaire.
Le Numismatic Journal paraît aussitôt avant de devenir, à partir de 1838, le Numismatic Chronicle. Enfin, dernier élément qui, pour
nous, fut sans doute capital : l’exemple et la présence à Bruxelles de Joachim Lelewel.
C’est une personnalité hors du commun dont aujourd’hui encore on cherche à pénétrer tous les aspects. Né à Varsovie
en 1786, il fait ses études à Wilno, devient, dès 1814, professeur d’histoire dans cette ville et il occupe la chaire d’histoire à son université
en 1821. À partir de 1824, à la suite de la découverte d’un important trésor à Trchébougne, il se prend de passion pour la numismatique. Il
participe activement à la révolution polonaise de 1830. Mais, en 1831, le retour de l’occupant russe le contraint à l’exil. Il s’établit à Paris,
où la vindicte de la police du Tsar le pourchasse. Le gouvernement russe obtient de celui de Louis-Philippe, qui cherchait à se dédouaner de son
origine révolutionnaire, l’expulsion de l’exilé. Lelewel se réfugie à Bruxelles et il y demeurera jusqu’à la veille de sa mort, en 1861.
Il publie bientôt deux œuvres qui eurent, dès leur parution, un exceptionnel retentissement dans tous les milieux
ouverts à l’histoire monétaire : la Numismatique du Moyen-Âge considérée sous le rapport du type, paraît en deux volumes en 1835; suit,
en 1841, le Type gaulois ou celtique, premier titre d’une collection qui ne sera pas poursuivie et qui devait s’appeler Etudes numismatiques
et archéologiques. Ces ouvrages ont vieilli et nul ne songe aujourd’hui à s’y référer encore. Mais, à l’époque de leur publication,
c’étaient de véritables précurseurs, dont l’influence se fit sentir longtemps. Dans leur Traité de numismatique du Moyen Âge, paru en
1890, A. Engel et R. Serrure rendent à Lelewel un exceptionnel hommage :
« Tout ce qui a été écrit depuis 1835 sur les monnaies médiévales procède de l’admirable synthèse du savant
polonais ». On imagine aisément le prestige que Lelewel avait pu acquérir dans le monde des amateurs belges. Mais il n’existait entre eux aucun
lien organique. La lacune se comble en 1841.
Comment les choses se passèrent-elles ? Deux fondateurs en ont fait le récit : Renier Chalon, dans deux causeries au ton
familier, à l’assemblée générale du 4 juillet 1869 d’abord et à celle du 4 juillet 1880 ensuite, et Mgr Félix de Béthune, dans un article « Histoire
de la Société royale de numismatique de Belgique depuis sa création », publié dans la partie introductive des Actes du premier Congrès tenu
en 1891.
Ces textes doivent toutefois être lus avec beaucoup de précautions. Manifestement, les deux auteurs les ont écrits sans
remonter aux sources, d’après des souvenirs que le temps avait émoussés. Chalon d’ailleurs se contredit. En 1869, il écrit que c’est au printemps
de 1841, chez De Coster, bourgmestre d’Héverlé près de Louvain, que l’idée de publier une revue numismatique a été émise pour la première
fois. Mais en 1880, il attribue la paternité de l’idée à l’abbé Louis qui aurait, dit-il, conçu, le premier, en 1840, l’idée de publier une
revue du genre de celles qui venaient d’être fondées en France et en Angleterre.
Mgr de Béthune reprend, lui, la version de 1869. Louis De Coster avait, écrit-il, invité à sa table quelques amateurs
de monnaie, apparemment sans intention particulière, car ce ne serait qu’entre la poire et le fromage qu’on aurait parlé de la création d’une
société et aussi éventuellement de la publication d’une revue. À la suite de ce banquet, que Mgr de Béthune déclare mémorable et arrosé d’une
liqueur bien généreuse, l’abbé Louis, supérieur du Collège de Tirlemont, provoque une nouvelle réunion « plus sérieuse », dans sa ville. Elle
se tient le 28 novembre 1841.
Sur la foi de ces souvenirs, une solide tradition veut que la fondation de la Société ait eu lieu en 1841, à Tirlemont,
le 28 novembre. On doit renoncer à cette version. Il n’est pas douteux qu’il y a eu une réunion à Héverlé chez De Coster; il est tout aussi
certain qu’il y en eut au moins une autre chez l’abbé Louis, à Tirlemont, car une lettre de lui y fait allusion, mais sans précision de date. Il y
en eut sans doute d’autres encore, mais, malheureusement, aucune n’a fait l’objet d’un procès-verbal. Le tout premier qui fut rédigé, date du 6
octobre 1844.
L’auteur anonyme — très probablement Alphonse De Witte — de la publication dans le recueil des « Médailles
historiques de Belgique », de celle qui célébrait l’acclamation, en 1885, de Renier Chalon en qualité de président d’honneur, donne encore
une autre version :
«La Société Belge de Numismatique fut fondée définitivement à Bruxelles, le 28 novembre 1841».
La date du 28 novembre paraît être restée gravée dans les mémoires et peut-être prit-on, ce jour, quelques
décisions importantes. En revanche, il est certain que tous ceux qui participaient à cette réunion ou à d’autres qui la précédèrent, avaient,
bien avant le 28 novembre, considéré la Société comme fondée. La preuve s’en trouve dans la liste des membres au 10 novembre 1856 : on y apprend
que les premiers membres honoraires ont été nommés le 4 juillet 1841. Cette date serait-elle celle du dîner d’Héverlé? On ne peut l’exclure,
mais, en toute hypothèse, la nomination de membres honoraires prouve que dès ce jour les assistants avaient définitivement adopté les bases de la
société nouvelle.
Quels étaient les hôtes de De Coster à Héverlé ? Qui furent les participants aux autres réunions? On n’en a pas
conservé les listes. Il est en tout cas certain que ceux qui furent considérés comme «fondateurs» n’étaient pas tous présents. En fait, il
semble que les choses se soient passées ainsi : tous ceux qui assistaient à ces réunions étaient en rapport avec d’autres, dont les adhésions
furent rapides et nombreuses. La première liste, publiée dans le premier volume de la revue mentionne 38 noms, à côté de ceux des membres
honoraires, et tous seront considérés comme fondateurs. Deux autres étaient déjà décédés. Ils n’avaient évidemment pas tous été les hôtes
de De Coster ou de l’abbé Louis. Plusieurs d’ailleurs habitaient l’étranger et ils ne sont certainement pas venus en Belgique pour concrétiser leur
adhésion.
Quels sont ces fondateurs qui se sont ainsi mutuellement choisis ? Ce sont évidemment des amateurs de monnaies anciennes
et tous, apparemment, des collectionneurs. Seuls quatre d’entre eux avaient une activité professionnelle qui pouvait avoir un certain rapport avec
cette passion : Piot est employé aux Archives du Royaume, Serrure professeur à l’Université de Gand, Den Duyts conservateur du Musée de
l’Université de Gand et Pierquin de Gembloux professeur et il faut évidemment rappeler que Lelewel est, lui, un numismate confirmé. Les autres
membres, soit donc au nombre de 33, appartiennent tous à la classe aisée. Douze d’entre eux n’exercent apparemment aucune profession ; parmi eux,
deux se déclarent rentiers et deux autres propriétaires. On peut sans doute leur appliquer ce que disait de l’un des premiers membres décédés,
Thomas-Grégoire Pippops, la nécrologie que la Revue lui consacrait : « Son rang et sa position sociale lui permirent de passer agréablement ses
nobles loisirs au milieu de ses serres, de sa bibliothèque et de ses médailles ». Plusieurs membres appartiennent à la noblesse, dont le baron
Félix Béthune (ou de Béthune) qui sera bientôt abbé et plus tard Monseigneur et qui témoigne d’une exceptionnelle précocité : né en 1824, il
n’a que 17 ans. Ceux qui déclarent leur profession appartiennent aux classes sociales supérieures : de la Fontaine est gouverneur du Grand-Duché de
Luxembourg, de Lannoye lieutenant-colonel, les autres sont magistrats, notaires, industriels ... L’abbé Louis dirige le collège de Tirlemont. Fait
significatif : près de la moitié des membres fondateurs collaboreront effectivement à la Revue. Les premières Tables, qui couvrent la
période 1842-1856, mentionnent les contributions de 17 d’entre eux.
En tête de tous, il y a Lelewel. Une des toutes premières décisions prise est la création du poste de président
d’honneur attribué aussitôt au réfugié polonais. Il est, de la part de ses collègues, l’objet d’une quasi-vénération, fait d’autant plus
remarquable que, sur le plan social, le contraste était total.
Ce savant était d’une farouche indépendance. Arrivé en Belgique dans un quasi-dénuement, il refusa toujours, parfois
jusqu’à l’outrance, tout secours ou toute aide qu’on voulait lui apporter. Il entendait vivre exclusivement de son travail, c’est-à-dire, en fait,
de sa plume. Les correspondances qu’il a entretenues avec son frère demeuré en Pologne, sont éclairantes : les ouvrages qu’il publie et qui
concernaient non seulement la numismatique, mais aussi l’histoire et la géographie, certaines tâches qu’il accepte, comme la rédaction du catalogue
de la collection de la Ville de Bruxelles, lui assurent de modestes revenus. Son budget annuel n’atteint pas 700 francs, et il est grevé de nombreux
frais de correspondance, car il est en relation avec l’Europe entière. Ce qui lui reste — 600 francs par an en moyenne — est, à l’époque, le
salaire de l’ouvrier qui se nourrit et nourrit les siens presque exclusivement de pain et de pommes de terre, en rognant sur le chauffage,
l’éclairage, l’habillement et qui dispose d’un logement d’une seule pièce. Ainsi vit Lelewel. Dans une unique chambre, rue du Chêne d’abord,
pendant 14 ans, puis, la maison ayant été expropriée, au 58 de l’actuelle rue des Éperonniers. Il mène la vie d’un ascète: il s’habille d’un
sarreau, comme un ouvrier, ne voyage qu’à pied ; c’est à pied, par exemple, qu’il se rend à Gand ou à Charleroi. Son luxe : une tasse de café
dans l’établissement Les Mille colonnes derrière le Théâtre de la Monnaie, car on peut y lire gratuitement des journaux et, parfois, le
soir, un verre de faro dans un établissement populaire. La police le surveille de près, car ses relations avec les milieux progressistes d’Europe le
rendent suspect.
C’est sans doute tout à l’honneur des grands bourgeois fortunés et confortablement établis qu’étaient les fondateurs
de la nouvelle Société, d’avoir réservé la place d’honneur à ce savant fier et pauvre et de l’avoir entouré d’une constant respect. C’est aussi
à l’honneur de la Société d’avoir conservé son souvenir, d’avoir fait frapper à son effigie des médailles et des jetons, et d’avoir, en 1986,
consacré son assemblée générale annuelle à la célébration du 200e anniversaire de sa naissance.
À côté de l’attribution à Lelewel de la présidence d’honneur, une des toutes premières décisions prises est la
désignation, dès le 4 juillet 1841, de membres honoraires. Ils sont au nombre de huit. Ils ont été manifestement choisis pour leur notoriété
scientifique et on relève parmi eux des auteurs qui sont aujourd’hui loin d’être tombés dans l’oubli : de Longpérier, de Saulcy, Koehne, Thomsen,
van der Chijs. Le choix était manifestement judicieux et ainsi s’établissait dès le premier jour la tradition, toujours maintenue, de nommer comme
honoraires des personnalités de premier plan du monde scientifique.
Autre décision encore, sans caractère administratif: la frappe d’une médaille qui tiendra lieu de diplôme et qui sera
remise à chaque membre, gravée à son nom. Sa réalisation est confiée à Veyrat et elle est prête dès 1842. Elle a toujours été considérée
comme le meilleur témoignage du talent de son créateur. Elle est, aujourd’hui encore, remise à tout nouveau membre titulaire.
L’aventure est commencée. La Société est fondée. Elle va publier une revue. Pour les fondateurs, tout paraît très
simple. On ne peut manquer d’avoir l’impression qu’ils se sont engagés dans l’entreprise avec beaucoup d’ingénuité. Le projet est vaste : une revue
annuelle d’au moins 400 pages, outre des planches, à fournir en quatre livraisons trimestrielles. La Société ne se donne cependant qu’une «
commission » et s’il y a un président d’honneur, il n’y a pas de président. À chaque séance, les membres désignent entre eux un directeur. On ne
nomme qu’un trésorier, Goddons, et un secrétaire, l’abbé Louis. Ce dernier est en plus chargé de publier la Revue. Mais la complexité et
l’importance du travail vont bien vite apparaître. Si le premier tome porte effectivement le millésime de 1842, ce n’est que l’année de la sortie
du premier fascicule. Il faudra attendre la quatrième, pour que sorte le dernier. Ce n’est qu’à partir de 1846 que la publication deviendra
effectivement annuelle. Mais ce n’est plus l’abbé Louis qui s’en occupe.
Par quoi ce remplacement fut-il justifié? Chalon, encore, l’a expliqué dans sa causerie de 1869, mais en prenant, sans
doute involontairement, avec la réalité, des libertés considérables. Le remplacement aurait été motivé par le fait que l’abbé Louis devait
quitter Tirlemont. C’est tout à fait inexact : ce n’est qu’en septembre 1846, deux ans après sa démission, qu’il a été déchargé des fonctions
de directeur du collège de Tirlemont et a, peu après, quitté cette ville. La vérité semble être que cet abbé était un personnage difficile et
susceptible. Et c’est avec fracas qu’il a démissionné. Dans un ensemble de documents que la Société a pu acquérir il y a quelques années, on a
eu la bonne fortune de retrouver sa lettre de démission. L’abbé Louis était apparemment assez négligent et il n’a, on l’a vu, quoique chargé du
secrétariat, jamais établi un seul procès-verbal d’aucune réunion. Une assemblée générale devait se tenir à Louvain le 6 octobre 1844 et il
avait, apparemment, négligé de la convoquer. Le trésorier, Goddons, s’était donc substitué à lui. L’abbé prend la mouche. Il déclare renoncer
à toute fonction, mais non à la qualité de membre. Il annonce qu’il fournira chaque année deux articles, et qu’il prendra trois abonnements. Nous
ne savons pas si cette seconde promesse fut tenue, mais la première en tout cas ne le fut jamais: aucun article n’a jamais paru dans la revue sous la
signature de l’abbé Louis. Nul effort ne fut tenté pour le faire revenir sur sa décision et dès le 6 octobre de nouvelles dispositions sont
prises. Désormais Goddons sera chargé à la fois de la trésorerie et du secrétariat mais non de la Revue. Il se montrera très
consciencieux et établira des procès-verbaux de toutes les réunions. Celles-ci sont à vrai dire confidentielles. Le 6 octobre 1844, il y a huit
assistants mais lors de la séance suivante, le 9 août 1846, cinq membres seulement ont fait le déplacement à Gand. Il faut dire que ces
assemblées générales ne présentaient sans doute que peu d’intérêt : on n’y discute encore exclusivement que d’administration.
Quant à la Revue, elle sera désormais sous la responsabilité d’une commission de trois membres : Chalon, Piot et
Serrure.
À l’égard des tiers, les débuts de la Société sont très discrets. Après la sortie de presse du premier fascicule
trimestriel, un exemplaire en est envoyé, à titre de spécimen, à tous ceux que l’on croit susceptibles de s’abonner. Il est accompagné d’un
prospectus dont on a conservé des exemplaires, quatre pages d’un texte serré. Il rappelle la beauté des monnaies antiques, leur intérêt
historique, le caractère encore très incomplet des études sur les monnaies du Moyen Âge, l’importance des collections particulières, tous
éléments qui font contraste avec l’absence d’un organe périodique. « C’est » est-il dit en conclusion « pour combler cette lacune que des amis
de la science ... ont arrêté en commun la constitution d’une société de numismatique et la publication d’une revue trimestrielle ». Pas un mot de
plus sur cette société, ni sur sa dénomination, ni sur son siège, ni sur ses organes dirigeants. Ce n’est qu’accessoirement que sont publiés, à
côté de l’adresse de plusieurs libraires, les noms et adresses de six membres, de six villes différentes du pays : Bruxelles, Gand, Liège Louvain,
Tirlemont et Arlon, auxquels on peut s’adresser pour les abonnements et pour tout ce qui concerne la publication. Cette liste ne coïncide d’ailleurs
pas avec celle de la « Commission ». On s’abstient manifestement de toute propagande en vue de recruter de nouveaux membres. Les fondateurs se sont
choisis eux-mêmes. Ils désirent rester entre eux. On recherche des abonnés. On ne souhaite pas des candidatures. La couverture des deux premiers
tomes de la revue ne porte que « Revue de la Numismatique Belge ». La mention « publiée sous les auspices de la Société Numismatique
» n’apparaît qu’en 1847.
L’objectif des fondateurs est unique : publier une revue. L’idée ne vient encore à personne de tenir des séances où
des communications seraient faites. Et la numismatique dont devra traiter cette revue, doit être avant tout la numismatique nationale.
Ce ne sera certes pas une exclusivité et le premier volume, qui porte le millésime 1842, comprend déjà un article de
Meynaerts sur des demi-sous et des tiers de sous romains et byzantins. Mais l’auteur croit devoir justifier cette incursion dans un domaine qui n’est
pas national :
« Quoique la Revue Numismatique Belge se propose principalement de traiter des monnaies gauloises et du Moyen-Âge qu’on
trouve dans la Belgique et qui ont rapport à son histoire, elle ne saurait, je pense, rester indifférente aux autres branches de la numismatique et
surtout aux vénérables restes de l’antiquité grecque et romaine ».
L’ambition de la Société est large : le premier volume s’ouvre dans les termes suivants :
« La commission administrative de la Société sur la proposition d’un de ses membres, Mr le Professeur Serrure, a
décidé de publier, comme travail préparatoire à une monographie complète et raisonnée de nos monnaies Belgique sous les ducs et les comtes, des
catalogues provisoires des pièces connues jusqu’à ce jour».
On reparlera de ce vaste programme à diverses reprises au cours des premières assemblées générales. On cherchera des
auteurs à même d’établir des monographies de tous les ateliers des anciennes provinces et cela en deux étapes : d’abord jusque 1520, date de
l’introduction d’un nouveau système monétaire sous Charles Quint, ensuite de 1520 jusqu’à la réunion à la France. On souhaite aussi explorer
toutes les archives de tous les dépôts de Belgique et d’y faire copier tous les comptes monétaires qui s’y trouvent et qui sont encore inédits —
c’est-à-dire la presque totalité.
Tous ces ouvrages que l’on veut susciter ne seront pas publiés par la Société, mais celle-ci facilitera la tâche des
éditeurs en achetant d’office 35 exemplaires.
Dès 1847, la Revue annonce qu’elle va aussi s’occuper de la gravure des médailles et qu’elle entend encourager ceux qui
s’y livrent. Tous les artistes vivants seront invités à communiquer, aux fins de publication, les listes de leurs créations et une première liste
paraît aussitôt: 18 médailles de F. de Hondt.
La publication des monographies commence dès 1849 : Chalon publie les Recherches sur les monnaies des Comtes de
Hainaut. D’autres publications suivront et certaines sous forme d’articles dans la Revue. Il n’empêche que le programme initial était
d’une ampleur considérable et que la publication complète et exhaustive de toutes les monnaies de nos anciennes provinces n’est pas encore achevée
aujourd’hui...
La revue publiait cependant de plus en plus d’articles sur des sujets étrangers à la numismatique nationale. Elle
conserva néanmoins, jusqu’en 1874, le titre Revue de la Numismatique belge, qui devint, en 1875, Revue belge de Numismatique, à quoi
s’ajouta, en 1908, et de Sigillographie.
C’est le 3 mars 1848 qu’un membre, M. Justin, propose de mettre des communications scientifiques au programme des
assemblées générales. Elles perdront ainsi le caractère purement administratif qui suscitait un désintérêt général. Cette proposition est
favorablement accueillie et mise en application dès le 1er juillet suivant. Piot parle de sceaux de Nivelles et de monnaies frappées à
Aix-la-Chapelle. Désormais le pli est pris et il l’est pour toujours: à toute assemblée, il y a au moins une communication, généralement
plusieurs.
C’est à la même époque que l’on se rend compte de la nécessité de donner à l’administration de la Société une
meilleure structure. Il y aura désormais un président et un vice-président. Ces postes sont confiés à Chalon et au comte de Robiano. Les charges
de trésorier et de secrétaire ne sont plus assurées par le même titulaire. Piot devient secrétaire, Goddons gardant la trésorerie. En 1853, on
nommera un inspecteur et c’est Goddons qui le devient, cédant la charge de trésorier à Pinchart. Enfin, en 1860, l’importance que prend la
bibliothèque nécessite la désignation d’un membre spécialement chargé de sa gestion, le bibliothécaire.
On a vu qu’il y a, dès l’origine, deux catégories de membres : les honoraires, qui sont choisis d’office et sont tous
étrangers, et les membres proprement dits que, pour les distinguer des honoraires, l’on appelle aussi membres effectifs.
Malgré la discrétion délibérée des fondateurs, l’affiliation est très vite importante. Dès la première assemblée
dont on a conservé un procès-verbal, celle du 4 octobre 1844, à Louvain, on compte 38 membres effectifs et on déplore déjà deux décès. On
élit un nouveau membre : M. Herri, député au conseil provincial. Mais on se pose aussitôt la question : n’est-on pas trop nombreux ? Et on décide
qu’on s’en tiendra, à l’avenir, à 35 membres effectifs. Il y en a donc, déjà, quatre de trop. En revanche, on se montre plus libéral pour les
nominations de membres honoraires. On en nomme, ce même jour, onze d’un coup.
On ne tient cependant guère compte de la limitation décidée, car le 20 septembre 1846, on accueille deux nouveaux
membres: J. B. Nothomb, ministre d’État, envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de S.M. le Roi des Belges, membre de la Chambre. On
comprend qu’on n’avait pas osé imposer à un candidat de cette qualité d’attendre que se produisent plusieurs décès. Sans doute avait-on aussi des
raisons pour ne pas refuser Victor Gaillard, avocat à Gand, auteur des Recherches sur les monnaies des Comtes de Flandre, grand numismate qui,
malheureusement, n’aura qu’une très courte carrière : il meurt en 1855 à l’âge de 31 ans.
Fin 1848, l’équilibre est atteint: 34 effectifs à côté de 19 honoraires. Le chiffre de 35 deviendra statutaire le 9
avril 1849.
À l’origine, on compte, parmi les effectifs, plusieurs étrangers : un Luxembourgeois, un Néerlandais, des Français,
mais l’idée naît de réserver cette qualité aux seuls nationaux belges. On crée, dès lors, le 6 juillet 1856, une catégorie distincte ; celle
des associés étrangers, qui seront en nombre illimité. À vrai dire, on ne doit guère redouter leur présence : à l’époque les longs
déplacements sont encore très rares. Aussi ces associés pourront-ils être admis par le seul Bureau, sur simple présentation d’un membre effectif.
On ne leur impose d’ailleurs que la seule obligation de s’abonner à la revue.
La création des membres étrangers justifie que le 3 juillet 1859, on limite les membres honoraires à 25. Le nombre est
dépassé et la réduction se fera par extinction.
La limitation à 35 des membres effectifs fait qu’il y a beaucoup de candidats qui attendent à la porte. Ainsi, lorsqu’on
1856 le décès de M. Meynaerts ouvre une place, sept candidats se présentent. Comment choisir le meilleur? On charge le secrétaire d’évaluer leurs
mérites respectifs et de faire rapport. Mais c’est là une procédure qui n’est agréable ni pour celui qui doit s’y livrer, ni pour ceux qui en sont
l’objet. Aussi cherche-t-on une autre solution et l’on crée, en 1860, dix postes de correspondants régnicoles. L’intention est claire : constituer
une réserve de recrutement. On connaîtra mieux les candidats-membres effectifs après avoir pu apprécier leur assiduité aux séances, leurs
connaissances, leur disponibilité à faire une communication.
Mais on n’a fait que déplacer le problème, car c’est maintenant à la porte des correspondants que l’on va se bousculer.
À diverses reprises, des membres proposent d’en augmenter le nombre. Cette proposition se heurte à un refus tout à fait catégorique de Chalon : il
reste partisan d’une stricte limitation du nombre des personnes participant aux activités de la Société et la catégorie des correspondants doit,
pour lui, demeurer une sorte de purgatoire, qui permette des choix opportuns. Ce n’est qu’après la première guerre mondiale, que le nombre de
correspondants sera porté successivement à 25, 50 et 60 pour, finalement, en 1968, n’être plus limité. C’est en 1958 que le nombre des membres
effectifs passe de 35 à 50.
Quant au nombre des correspondants étrangers, non limité à l’origine, il le fut par la suite à 150, mais cette
limitation restera toujours purement théorique, car le chiffre ne fut jamais atteint, même de près. Elle disparaît, elle aussi, en 1968. Par
contre, le nombre des honoraires se trouve aujourd’hui limité à 15.
Pour en terminer avec cet aspect des choses, signalons la création en 1968 d’une catégorie de membres adhérents,
c’est-à-dire des conjoints, proches parents ou alliés d’un membre titulaire ou correspondant ayant le même domicile que lui. Cette catégorie n’a
eu, en fait, qu’un succès extrêmement réduit. Par contre, une autre catégorie, celle des membres institutionnels, créée en 1974, s’est
révélée très attractive : elle concerne les institutions scientifiques et autres personnes morales, dont l’activité a un rapport désintéressé
avec la numismatique ou la sigillographie.
Les candidats qui doivent attendre patiemment qu’une place soit ouverte, sont, on l’a vu, nombreux. La charge financière
d’une affiliation n’est cependant pas négligeable. Nous ne connaissons pas les tarifs initiaux, mais nous savons qu’en octobre 1844, la cotisation
annuelle était fixée à 6 francs. A l’époque, les membres ne recevaient encore par année qu’une seule livraison.
En revanche, dès qu’en 1842 la liste des fondateurs est définitivement arrêtée, on subordonne toute affiliation
ultérieure au paiement d’un droit d’entrée de 25 francs, en plus de la cotisation. Celle-ci est, à partir de 1848, de 15 francs. Elle sera plus
tard portée à 20 francs pour les effectifs, les correspondants ne devant payer que 15 francs. Ces chiffres peuvent paraître aujourd’hui modestes,
sinon dérisoires, mais il s’agit de francs-or. Un coefficient de 400 est nécessaire pour une comparaison valable.
On le verra plus loin, la Société a constamment prospéré et s’est rapidement constitué un patrimoine. Chose curieuse,
c’est cette prospérité même qui est invoquée pour justifier, en 1855, une majoration du droit d’entrée, porté à 50 francs. La motivation
paraît en être que la Société n’a pas de personnalité juridique, que ses membres pourraient à tout moment décider de la dissoudre et de se
partager l’avoir social et qu’il ne faudrait pas qu’en pareille éventualité, certains recueillent une part d’un capital qu’ils n’auraient pas
contribué à constituer.
Le trésorier Vandenbroeck estimera même, par la suite, que ce droit est encore insuffisant. Il veut le porter à 100
francs (quarante mille francs d’aujourd’hui...). Présentée à l’assemblée générale de 1876, cette proposition est rejetée. On fait valoir que
l’admission ne doit pas être une question d’argent et que le monde savant comprend aussi des personnes qui ne sont pas nécessairement fortunées.
Vandenbroeck ne désarme pas. Il représente sa proposition en juillet 1886, mais devant l’hostilité générale il n’insistera plus.
Les membres du Bureau et de la Commission de la Revue ne sont nommés que pour un an. Leur élection est à l’ordre du
jour de chaque assemblée générale annuelle. Ce n’est qu’en 1890, que les désignations seront faites pour trois ans. Cette disposition est encore
de règle aujourd’hui. Mais à cette précarité initiale théorique s’oppose une grande stabilité de fait. Elle fut surtout remarquable tout au long
du xix6 siècle dans le poste de président. Premier élu à cette charge en 1849, Renier Chalon la conservera jusqu’en 1886 et seul son grand âge
— il est né en 1802 — la lui fait abandonner. Le mandat de son successeur, Alphonse De Schodt, ne s’étendit que sur deux ans (1887-1889), mais,
après lui, Baudouin de Jonghe présidera aux destinées de la Société pendant 36 ans, de 1890 à 1925. Et Victor Tourneur pendant 25 ans de 1925 à
1949. Très exactement en un siècle (1849-1949), la Société n’a eu que quatre présidents. Depuis lors, la cadence s’est modifiée. Statutairement
le président ne peut plus exercer que deux mandats consécutifs de trois ans et cette cadence est devenue pratiquement la règle.
Une stabilité semblable s’est trouvée chez les trésoriers. Edouard Vandenbroeck le fut de 1864 à 1891 et Amédée de
Roissart de 1896 à 1922. Chez les secrétaires, des termes de 12 et 15 ans ne sont pas l’exception. Cette permanence aux postes-clés d’hommes de
grande valeur et d’un dévouement profond, acquérant au fil des années une grande expérience, a assuré à la gestion et à toute la vie de la
Société une continuité remarquable dans le progrès et le succès. La Revue a bénéficié du même privilège. Renier Chalon a fait partie
de sa commission de 1847 à 1885, le vicomte Baudouin de Jonghe de 1890 à 1925, Victor Tourneur de 1919 à 1955 et le Professeur Paul Naster, entré
en fonction en 1949, est encore toujours aujourd’hui codirecteur, pour le plus grand bien de la RBN.
Mais cette stabilité dans les charges peut présenter un aspect négatif en bloquant en fait le cursus honorum
d’autres membres méritants. On y obvia, à partir de 1864, d’une manière assez particulière : le vice-président, dont la charge était légère et
quasi-honorifique, ne pourrait plus, à l’expiration d’un mandat d’un an, être réélu qu’après un délai de trois ans. Dix-sept vice-présidents se
sont alors succédé jusqu’en 1890, époque à laquelle cette règle disparut à l’occasion d’une refonte des statuts. On n’a toutefois pas jugé
nécessaire d’insérer dans les procès-verbaux les circonstances qui ont justifié cette abrogation.
La création du poste de bibliothécaire, en 1860, met le point final à l’élaboration progressive des structures de la
Société. À cette époque aussi, la nature et le rythme de ses activités sont fixés pour longtemps. Jusqu’en 1914 la société paraît échapper
à l’histoire, du moins à ce que celle-ci est trop souvent, la chronique des drames et des conflits. Pendant plus d’un demi-siècle on ne constate
qu’une croissante prospérité et une activité réglée comme un mouvement d’horlogerie, sans secousses ni difficultés internes. Si des événements
exceptionnels se produisent, comme les congrès de 1891 et de 1910, ce sont des événements heureux.
À peine de donner à la présente évocation une dimension démesurée, il ne peut être question d’établir un bilan
complet. Nous ne pouvons que survoler cette période bénie des dieux, en rappelant brièvement les pôles principaux des activités sociales.
On l’a vu : l’objet essentiel de la société était, de la volonté expresse des fondateurs, l’édition d’une revue. Si
l’on fait abstraction des balbutiements des quatre premières années, l’objectif a été pleinement atteint. On promet, à l’origine, un volume
annuel de 400 pages. Cette promesse fut plus que largement tenue. Jusqu’en 1914, ce chiffre sera toujours atteint et le plus souvent largement
dépassé, jusqu’à frôler parfois les 600 pages. Tout porte à croire que la publication ne connaît aucun retard. Renier Chalon était sur ce point
extrêmement exigeant et ses désirs étaient des ordres. Ses successeurs ne furent pas moins attentifs. Si les archives et les procès-verbaux ne
nous éclairent guère sur les dates précises des sorties de presse, nous savons en tout cas qu’en août 1914, lorsque le territoire belge fut
envahi, le troisième fascicule de cette année, correspondant aux mois de juillet à septembre, était déjà expédié.
La revue est généreuse en planches. Elles dépassent couramment le nombre de 20 et frôlent celui de 30. Ces planches
seront très longtemps exclusivement gravées, seul procédé en usage, mais l’art de la gravure était très répandu. Il y a certes des graveurs
professionnels auxquels on fait parfois appel, mais il y a aussi d’excellents amateurs. Un des plus remarquables est Lelewel lui-même, dessinateur de
grand talent. Il grave de sa main tous les dessins et toutes les cartes des ouvrages qu’il publiera, mais il n’est pas seul : d’autres membres encore
participent à la confection des planches et notamment M. Everaerts, de profession « fabricant à Louvain », auteur de la quasi-totalité des
planches des premiers volumes. En 1894, la Revue publie pour la première fois une planche suivant le procédé, révolutionnaire à l’époque,
de la photogravure. Il s’imposera très rapidement. Dès 1898, il est utilisé pour la majorité des planches et la gravure au trait deviendra
bientôt tout à fait exceptionnelle. Jusqu’à la première guerre mondiale, la Revue parut en quatre fascicules trimestriels. Après les
hostilités la publication se fit en deux fascicules. En 1927 on adopta la formule, désormais définitive, du volume annuel.
Que dire du contenu de cette revue ? Il était beaucoup plus varié qu’aujourd’hui. Il y a certes une majorité d’articles
de fond, parfois développés et aussi des contributions plus brèves, celles que nous classons aujourd’hui dans les «Mélanges». Mais ces derniers
textes sont beaucoup plus nombreux et beaucoup plus divers. Il est vrai qu’en 1842 et pendant longtemps, la Revue était le seul organe numismatique
en Belgique, le seul lien entre les numismates et il était dès lors normal qu’elle leur communiquât tout ce qui pouvait les intéresser.
L’actualité est donc au rendez-vous : on publie les nouvelles monnaies belges, parfois aussi étrangères, la législation monétaire, des médailles
récemment frappées, des jetons officiels ou privés. La Revue donne aussi le sommaire d’autres revues étrangères. Elle fait mention de
faits personnels, comme les distinctions honorifiques attribuées à ses membres. Elle annonce les ventes publiques et en donne les résultats ;
plusieurs pages sont parfois consacrées à des listes de prix. Particularité curieuse, certains articles sont présentés sous forme de lettre.
L’auteur écrit ou feint d’écrire une lettre au président ou à un membre du Bureau et y développe ses considérations sur l’un ou l’autre point de
numismatique. La lettre est alors insérée telle quelle. Et tout cela est publié dans un beau désordre. Progressivement naîtront des rubriques
spécialisées. On voit émerger progressivement deux grandes catégories : les « Mélanges » d’une part et les « Notes et Documents » d’autre
part. Après la dernière guerre mondiale la disposition actuelle devient définitive : Mémoires, mélanges, recensions, procès-verbaux,
nécrologie, liste des membres. C’est depuis 1856 que celle-ci est régulièrement publiée. Elle ne l’était jusqu’alors qu’occasionnellement. Et
c’est depuis 1988 qu’une bibliographie numismatique nationale est publiée annuellement.
Suivant un usage relativement répandu à l’époque, la Revue s’édite par séries, en l’espèce de six volumes,
sans numérotation unique continue. Pour citer les volumes, on devait donc dire, par exemple : 2e volume de la 3e série, ce qui était loin de
faciliter les choses et au fur et à mesure que les séries se multipliaient, les inconvénients devenaient plus sensibles. Aussi le système fut-il
abandonné au cours de la sixième série.
La Revue en est, en cette année du 150e anniversaire, à son 137e volume. Les difficultés des premières années,
mais surtout les interruptions au cours des deux guerres mondiales, expliquent qu’après 150 ans, on n’en soit pas encore au 150e volume. Mais c’est
de toute manière une collection impressionnante sur les rayons d’une bibliothèque et surtout une extraordinaire source de documentation. Au cours
d’un siècle et demi, les sujets les plus divers ont été abordés. Ils furent souvent traités par des auteurs très érudits. Celui qui,
aujourd’hui, veut approfondir un problème de numismatique antique ou occidentale, a toujours intérêt à rechercher s’il n’a pas fait l’objet d’une
mention dans la Revue Belge.
Cette recherche sera d’autant plus aisée que sont mises à sa disposition des Tables qui constituent un instrument
de travail fondamental. À l’origine, des tables séparées ont été établies après la publication de 12 volumes. Les deux premières, soit pour
les 24 premières années, furent rédigées par Alexandre Pinchart et la troisième, couvrant la période de 1869 à 1880, par Frédéric Alvin.
Mais, chose curieuse, cette dernière ne sortit de presse qu’en 1902. La tradition de tables par groupe de 12 volumes, soit chaque fois deux séries,
s’est alors perdue et au fur et à mesure que de nouveaux tomes sortaient, les recherches devenaient de plus en plus aléatoires. Le 125e anniversaire
de la Société fut, en 1965 et 1966, l’occasion de redresser la barre : les volumes de ces deux années furent consacrés à des tables couvrant la
période de 1881 à 1964, œuvre remarquable à laquelle Monsieur le Professeur Paul Naster et son épouse, sur base d’un dépouillement par Monsieur
P.-M. Gason, consacrèrent le meilleur d’eux-mêmes. C’est sur le modèle de ces Tables que Monsieur Raf Van Laere vient de publier celles de la
période 1965 à 1989 : 350 pages de texte serré en deux colonnes.
En plus de la Revue et de ses Tables et des Actes des Congrès de 1891 et de 1910, la Société a publié
quelques volumes isolés. Après les fêtes jubilaires de 1880, elle édita les Souvenirs numismatiques du 50e anniversaire de la Belgique. En
1883 parut le catalogue de sa bibliothèque. Elle a aussi publié, sous forme d’annexés à la Revue, les « Médailles historiques de
Belgique » qui ont été, par la suite, réunies en trois volumes. Le premier sous la direction d’Alphonse De Witte couvre la période 1865-1890,
le second, sous celle d’Alphonse De Witte et Edouard Laloire, va de 1891 à 1908 et Victor Tourneur, enfin, a publié la période de 1908 à 1914.
Citons, pour mémoire, le catalogue de l’exposition importante qui s’est tenue, en 1966, mais mentionnons surtout
L’Histoire monétaire de Tournai,
œuvre de Marcel Hoc, publiée en 1970 et les Scripta Nummaria du Professeur Paul Naster, édités en 1983 en collaboration avec le Séminaire
de Numismatique Marcel Hoc.
De 1850 à 1854, l’archiviste Alexandre Pinchart publia dans la Revue une centaine de notices qui furent, par la
suite réunies sous le titre Recherches sur la vie et les travaux des graveurs de médailles, de sceaux et de monnaies des Pays-Bas (Bruxelles,
1858). En raison de l’abondance des documents inédits produits ce volume reste l’ouvrage de base en la matière. De 1866 à 1873, le colonel Prosper
Maillet fut l’auteur d’une série d’articles qui constituaient un catalogue des monnaies obsidionales et de nécessité. Ces textes, qui ont eu un
retentissement considérable, ont été, par la suite, réunis en un volume qui, aujourd’hui encore, après quelque 125 ans, reste, lui aussi, ouvrage
de référence. Signalons encore que le volume de 1949 fut consacré à une seule étude, accompagnée d’un nombre considérable de planches, «Les Tétradrachmes
d’Akanthos» de Jules Desneux. Ce tome fut rapidement épuisé et il fallut le rééditer.
Second pôle des activités sociales : les assemblées générales. D’après les statuts adoptés en 1849, une assemblée
générale statutaire doit se tenir obligatoirement à Bruxelles, le premier dimanche de juillet, avec faculté de tenir d’autres réunions soit à
Bruxelles, soit en province. Des procès-verbaux détaillés de toutes les séances sont publiés avec des résumés importants de toutes les
communications. Chose curieuse, ces procès-verbaux ne disent pratiquement jamais où les réunions se sont tenues, ni l’heure à laquelle elles ont
commencé, ni celle à laquelle elles se sont terminées. Ce n’est ainsi qu’incidemment que nous apprenons qu’en 1847, les assemblées se tenaient à
l’Hôtel de la Couronne d’Espagne à Bruxelles, tandis qu’un procès-verbal de 1875 nous apprend que l’on s’est réuni de 12 à 14 heures. Cet horaire
peut nous paraître aujourd’hui singulier, mais c’était la cadence de l’époque : on déjeune au milieu de la matinée et l’on dîne au milieu de
l’après-midi. Cette pratique sera maintenue jusqu’à la première guerre mondiale. Pendant longtemps, à la suite d’une intervention du Ministre
Vandenpeereboom, membre de la Société, celle-ci put tenir ses séances au Palais des Académies. En 1965, à la suite de travaux, elle émigra à la
salle du Conseil de la Bibliothèque Royale. Elle se réunit depuis 1982 à la Fondation Universitaire.
Si la date du premier dimanche de juillet est longtemps strictement respectée pour les assemblées statutaires, la
cadence des autres réunions est, à l’origine, très irrégulière. Ainsi en 1850, il y en a deux, en 1851, une seule et apparemment aucune en 1852.
Mais progressivement une règle s’établit : en plus de l’assemblée statutaire, il y aura chaque année une réunion supplémentaire, toujours hors
de Bruxelles, occasionnellement au-delà des frontières pour des réunions communes avec d’autres sociétés locales ou nationales.
C’est pendant un siècle, jusqu’après la seconde guerre mondiale, que l’on respectera cette cadence de deux assemblées
par an, avec une modification : depuis 1923, l’assemblée statutaire se tient à Bruxelles en mars et une autre assemblée généralement en juin ou
en juillet. Ce n’est qu’après la seconde guerre mondiale que la décision fut prise de tenir davantage de réunions pour arriver au rythme que nous
connaissons aujourd’hui avec une moyenne de huit par an. Depuis ces dernières années, sans que la règle soit statutaire, les déplacements en
province sont orientés une année vers le nord et l’autre vers le sud. Ainsi ont été visitées la totalité des grandes villes belges et un nombre
important de petites villes. La Société y a toujours rencontré un accueil très cordial, les autorités locales mettant souvent un local officiel
de la ville à la disposition des participants et offrant souvent aussi un vin d’honneur.
La situation financière favorable de la Société lui permet de se montrer généreuse. En 1858, elle promet un jeton
d’or de 100 francs à l’auteur du meilleur article à publier dans la revue sur un sujet de numismatique romaine. Le prix est attribué, en 1860, à
J. Sabatier pour une étude sur des monnaies impériales grecques en bronze inédites. La récompense était importante pour un texte de 22 pages. En
1860, la Société offre cette fois une collection complète de sa Revue a la meilleure étude de numismatique gréco-romaine publiée avant le
1er juillet 1862. Elle est, le 6 juillet de cette année, attribuée à Victor Langlois pour un article sur des médailles inédites ou peu connues
des dynastes de la Mésène. Des prix similaires seront encore offerts en 1864 et en 1866. De son côté, le Docteur Dugniolle offre en cette même
année 1866 un prix de 150 francs à l’auteur du meilleur classement des jetons des XVII provinces du XVe siècle. Mais aucun candidat ne se
présente. Dugniolle élève alors, en 1867, le prix à 200 francs, mais bien inutilement : aucun candidat ne s’est jamais manifesté. La Société
n’a pas plus de succès : elle continue à offrir de deux ans en deux ans un prix pour une étude de numismatique romaine. En vain ... L’initiative
est abandonnée en 1872.
L’idée renaît en 1899. Trois membres de la Société offrent chacun 300 francs, montant considérable pour l’époque :
le vicomte B. de Jonghe pour un travail de numismatique grecque, Edmond Lombaerts pour un travail de numismatique sur l’une ou l’autre des anciennes
XVII provinces et A. De Witte pour un sujet de numismatique romaine. Les deux premiers prix sont attribués. Le troisième ne le sera pas. La
tradition des prix s’est alors perdue.
Elle a toutefois été ressuscitée il y a un peu plus de vingt ans avec l’appui de la Banque Nationale de Belgique. C’est
le Prix quadriennal. Il a été attribué en 1981 et en 1989. Il n’a pas pu l’être en 1985, le jury n’ayant pu retenir aucun des travaux
présentés. Il est réservé aujourd’hui aux numismates qui n’ont pas dépassé l’âge de 35 ans.
Le XIXe siècle est, en Belgique, une période faste pour la médaille. Les médailleurs de talent sont nombreux et leurs
productions importantes. Événements et anniversaires sont souvent célébrés par une médaille qui en perpétuera le souvenir. L’État lui-même en
fait frapper beaucoup : à l’occasion de nouvelles constructions, de travaux publics, de création de prisons modernes, d’événements dynastiques.
Les provinces et les communes suivent l’exemple et les particuliers ne sont pas en reste. Avoir sa médaille est une sorte de statut social. Les
jetons rencontrent, eux aussi, un grand succès. On a ses jetons personnels comme on possède des cartes de visite. On en remet des exemplaires à ses
amis. On célèbre par des jetons des événements familiaux. Moins que quiconque, les numismates ne pouvaient échapper à cette mode et la Société
y a, à son tour, sacrifié. Il existe une multitude de jetons et de médailles, qui ont, avec la vie de la Société, des liens plus ou moins
étroits. La documentation à leur sujet est très éparse. Le projet existe d’en faire dans un avenir prochain le relevé complet en vue d’une
publication. Nous nous bornerons donc ici à l’essentiel. On voudrait classer cette production en catégories, mais ce n’est pas aisé. Il y a certes,
tout d’abord, les jetons officiels, soit les jetons de présence distribués aux assemblées statutaires annuelles de 1865 à 1946, époque à
laquelle, pour des raison financières, l’usage devra en être abandonné. Des jetons et des médailles ont été frappés lors de circonstances
particulières comme, par exemple, les deux Congrès internationaux. Mais à côté de ces productions, dont le statut est bien défini, les autres
sont le résultat d’initiatives très diverses. Il y a des jetons qui rappellent les assemblées générales tenues en province. Ils ne sont pas
frappés à l’initiative de la Société. C’est parfois l’autorité locale qui offre un de ses jetons habituels, avec une inscription appropriée à
la circonstance. C’est parfois aussi l’un ou l’autre médailleur, membre de la Société, Brichaut en-tête, qui fait frapper, de ses deniers, un
jeton qu’il offre à ses collègues. Tantôt aussi un membre qui a fait frapper son jeton personnel et le distribue généreusement. Des médailles
rappellent le souvenir de certains membres particulièrement appréciés. Elles n’ont normalement pas été frappées sous la responsabilité de la
Société, mais néanmoins en son sein à l’initiative d’un groupe de ses membres qui ouvrent des listes de souscription.
Plusieurs médailles ont été frappées ainsi en l’honneur de Renier Chalon ; d’autres évoquent le souvenir de Lelewel.
Ces frappes ne semblent poser aucun problème financier. Les archives sont malheureusement muettes, à une exception près, tout à fait
significative. En 1897, pour remercier Vandenbroeck des longs services qu’il a rendus en qualité de trésorier, on décide de lui offrir la
médaille-diplôme de la Société en or massif, gravée à son nom. C’est une dépense considérable : 520 F. La liste de souscription existe
toujours. La somme nécessaire a été très rapidement couverte par 47 contributeurs.
C’est à la fin des années 50 du siècle passé que l’idée d’un jeton de présence a fait son chemin au sein de la
Société. En 1854, on avait déjà décidé qu’à chaque réunion, un ou plusieurs ouvrages numismatiques ou d’archéologie seraient distribués par
le sort entre les membres présents. En 1858, plusieurs membres expriment le souhait de voir cette distribution remplacée par un jeton. On en reparle
d’année en année, mais la seule décision prise est la suppression, en 1860, de la distribution de livres par le sort.
L’initiative définitive vient de Léopold Wiener : le 3 juillet 1864, il offre de graver, gratuitement, pour la
Société, un jeton de présence à l’effigie de Golzius. En 1865, le travail est terminé et le jeton est frappé en argent. Chaque membre présent
le 2 juillet 1865 le reçoit. Le même jeton sera frappé en bronze, pour l’assemblée de 1866. Il le sera encore, mais avec une autre légende de
revers, en 1867. Dès lors, le pli est pris. Wiener gravera encore d’autres jetons. L’usage s’établit d’utiliser un nouveau coin de droit pour trois
années, le revers mentionnant chaque fois une autre date d’assemblée générale annuelle.
Après la première guerre mondiale, l’usage put se maintenir, malgré les difficultés dans lesquelles la Société se
débattait, grâce à la générosité de graveurs et d’éditeurs. En 1946, on utilisa encore le coin qui avait servi en 1939. Mais malheureusement
aucun mécène ne se présenta plus et la Société, contrainte à l’austérité, dut renoncer à cet usage. Ce n’est pas sans une certaine nostalgie
que l’on admire aujourd’hui cette série, hélas clôturée, de 71 jetons, présentant vingt-deux droits différents, œuvres des meilleurs graveurs :
L. Wiener, Dubois, Lemaire, Vermeyren, Fisch, Michaux, Devreese, Le Roy, Mauquoy et qui à côté du souvenir du Prince Baudouin, membre d’honneur,
perpétuent celui de numismates célèbres ou de membres qui consacrèrent le meilleur d’eux-mêmes à la prospérité de la Société.
En 1966, à l’occasion du 125e anniversaire, la Société a fait refrapper un jeton à l’effigie de Lelewel. Elle a,
d’autre part, créé son propre jeton, en vermeil, en argent et en bronze. Modèle réduit de la médaille-diplôme de Veyrat, il est destiné à
honorer des personnes ayant rendu d’éminents services à la Société. À ce jour, il a été attribué à six reprises et pour la première fois en
1973.
Ni les premiers statuts, ni les premiers procès-verbaux ne parlent d’une bibliothèque. Très rapidement cependant, la
Société est amenée à procéder à des échanges de sa revue contre d’autres publications numismatiques ou archéologiques, belges ou étrangères,
tandis que des auteurs lui adressent spontanément des exemplaires de leurs œuvres. Une bibliothèque se constitue ainsi de facto. À partir
de 1854, les acquisitions annuelles seront publiées dans la Revue et en 1860, l’importance de ce qui a déjà été réuni justifie la
création d’un poste spécial de bibliothécaire.
Les apports sont nombreux et constants et l’enrichissement considérable. Un catalogue est publié en 1883 : il ne
comporte pas moins de 95 pages. On y trouve les titres de 85 périodiques d’Europe et d’Amérique et 497 titres d’ouvrages non périodiques. Et cela
ne fait que croître. Ainsi, en 1892, 180 volumes parviennent à la Société. En 1898, on relève 142 volumes ou brochures remis par leurs auteurs.
Le local mis à la disposition de la Société au Palais des Académies est comble et le bibliothécaire le fait remarquer en 1910. Mais on cherche en
vain une solution, tandis que les apports se multiplient. C’est ainsi qu’en 1912, les fils de feu Vandenbroeck font don d’un ensemble d’ouvrages de la
bibliothèque de leur père : 125 livres, 1100 catalogues, 1200 brochures et tirés à part.
Une autre collection se constitue parallèlement. Très rapidement, la Société reçut des dons de monnaies, de
médailles ou de jetons. Ainsi, en 1848, le médailleur Jehotte fils fait don de certaines de ses propres médailles. L’État, qui frappe lui-même
des médailles, prend l’habitude d’en envoyer un exemplaire à la Société. En 1860, la décision est prise de créer une véritable collection et le
bibliothécaire, à l’époque M. Guioth, en aura la charge. Il fait lui-même immédiatement un premier don de 191 pièces de Brabant, de Flandre, de
Hainaut, de Liège et du Luxembourg et de quelques autres encore. Désormais, chaque année, la Revue publiera les nouvelles acquisitions et
l’enrichissement est annuel. Ces dons viennent de membres, mais aussi de collectivités locales ou de l’État lui-même. Le 31 décembre 1890,
Alphonse De Witte fait un relevé. Il y a, à ce moment, quatre médailliers totalisant 123 tiroirs, plus encore un autre meuble. On relève notamment
134 monnaies de Liège, 32 du Hainaut, 25 de Tournai, 114 de Flandre, 128 du Brabant, des antiques, des médailles antérieures au XIXe siècle et un
lot important de médailles du xix6. À l’assemblée générale de 1893, on apprend qu’en 1892, on a reçu 120 monnaies, 17 jetons, 16 méreaux, 9
médailles et trois plâtres et que la collection comprend plusieurs milliers de pièces. En 1898, ce sont 134 monnaies, 165 jetons, 10 méreaux, 8
médailles, 2 plâtres et 17 papiers-monnaies qui la rejoignent. En 1912, les fils de feu Vandenbroeck qui ont déjà fait don de sa bibliothèque,
remettent aussi un nombre considérable de pièces de la collection de leur père ; l’inventaire prend quatorze pages de la revue. Après la première
guerre, au moment du bilan des pertes éprouvées, Victor Tourneur évaluera la collection à 15.000 francs or.
Riche d’une belle bibliothèque et d’une collection importante, la Société l’est aussi sur le plan financier.
Synthétiquement, on peut dire, par comparaison avec la situation actuelle, que les recettes étaient beaucoup plus élevées et les dépenses
beaucoup plus modestes. Celles-ci sont essentiellement constituées par l’impression de la revue, beaucoup moins coûteuse qu’aujourd’hui. Ainsi, pour
prendre un exemple, en 1910 les frais de fonctionnement de la Société ne s’élèvent qu’à 192,80 francs, tandis que ceux de la Revue, tous
postes compris, donc aussi expédition, tirés à part, etc... ne représentent que 2.900 francs. Or, les recettes des seules cotisations et de la
vente du volume de l’année, rapportent déjà 3.512 francs. Mais il faut ajouter que, malgré cette prospérité exceptionnelle, la Société obtient
encore un subside du gouvernement et cela depuis 1861.
Initialement de 300 francs, il oscillera, par la suite, autour de 600 francs. Il y a encore d’autres recettes, notamment
les ventes de volumes antérieurs et les intérêts d’un patrimoine qui va croissant. De 7.000 francs en 1880, il passe à 31.000 francs à la fin de
1910 et il est placé dans les valeurs que l’on considère comme les plus sûres : les emprunts de l’État Belge qui rapportent 3%. Nul ne se doute de
la débâcle proche.
Revenons en arrière, jusqu’à l’année 1891. La Société souhaitait célébrer avec éclat son 50e anniversaire et elle
le fit par une initiative qui fit fortune parce qu’elle fut à l’origine d’une tradition aujourd’hui profondément établie, celle de rencontres
périodiques entre tous les spécialistes de la numismatique ; nous sommes cette année à sa xi0 édition. Au xix6 siècle, si les congrès
internationaux n’étaient pas réellement exceptionnels, leur pratique était néanmoins beaucoup moins répandue qu’aujourd’hui. Au cours du siècle,
les moyens de transport s’étaient perfectionnés et multipliés, mais les déplacements par chemin de fer ou par navigation à vapeur demeuraient
lents et coûteux. Le grand Renier Chalon n’a jamais fait, de sa vie, le voyage à Paris...
Le congrès fut placé sous le haut Patronage du Prince Philippe de Saxe-Cobourg-et-Gotha, duc de Saxe, qui avait des
attaches avec la Belgique puisqu’il était le petit-fils par alliance de Léopold Ier, mais aussi avec la Société, dont il était déjà membre
d’honneur, ce qu’avait justifié sa qualité de numismate très averti, spécialiste de l’Orient. Il avait, en 1890, envoyé pour la Revue une
longue étude de 75 pages sur diverses monnaies arabes de son cabinet. Elle fut publiée en 1891 et 1892. Il réserva d’ailleurs pour le Congrès une
communication sur une monnaie de la ville de Sultanieh.
Le Congrès aurait dû aussi bénéficier du Haut Patronage du Prince Baudouin de Belgique, neveu du roi Léopold II,
frère aîné du Prince Albert et héritier présomptif du trône. Il avait accepté en 1890 le titre de membre d’honneur, mais il décéda,
inopinément, en janvier 1891. C’est à sa mémoire que furent consacrés les jetons frappés à l’occasion de l’assemblée générale statutaire de
1891 et à celle du Congrès. L’oeuvre est de Fernand Dubois. La médaille du Congrès lui aurait sans doute été consacrée si le projet n’avait pas
été définitivement retenu avant ce décès. Elle fut aussi l’oeuvre de Dubois et son droit présente des effigies conjuguées des deux premiers
présidents d’honneur de la Société, Joachim Lelewel et Renier Chalon.
La présidence d’honneur avait été conférée au seul survivant des fondateurs de 1841, Monseigneur Félix de Béthune,
ainsi qu’au Ministre de l’Intérieur et de l’Instruction publique, au Gouverneur de la province de Brabant et au Bourgmestre de la ville de Bruxelles.
Le Congrès se tint du 5 au 8 juillet 1891. Quatre séances de travail permirent la présentation de 46 mémoires, dont
onze étaient l’œuvre de participants belges. Ces chiffres peuvent paraître modestes si on les compare à l’ampleur des congrès des dernières
décennies. Il n’empêche que chacun jugea que le succès était total. 11 fut à l’origine de la tradition de tous les congrès ultérieurs.
Les procès-verbaux précisent qu’il y eut 191 adhésions et 67 participations. Que signifie cette distinction à
première vue surprenante? En fait, on souhaitait intéresser au Congrès le plus grand nombre possible d’étrangers, tout en se rendant parfaitement
compte de ce que beaucoup d’entre eux ne pourraient faire le déplacement. Dès lors, la circulaire, diffusée partout dans le monde, demande des
adhésions et interroge les adhérents sur leur participation. On peut donc adhérer en annonçant simultanément que l’on n’assistera pas et on peut
adhérer, sans participer, de diverses manières : en souscrivant à la médaille commémorative frappée en argent et en bronze, en souscrivant aux
Actes et enfin et surtout en envoyant une communication, qui sera alors lue en séance par un membre du comité organisateur.
Ainsi, pour donner un exemple, neuf adhésions se manifestèrent en Allemagne, mais seul le conservateur du Cabinet des
médailles de Munich, le Docteur Riggauer, fit le déplacement, mandaté par le gouvernement bavarois, tandis que trois autres adhérents envoyaient
une communication. Pour l’Autriche-Hongrie, trois des sept adhérents envoyèrent une communication, mais aucun ne fit le déplacement. Le record des
adhésions étrangères appartint à la France, avec 33 inscriptions, sept participations personnelles et huit communications. L’Italie suivait
immédiatement avec 29 adhésions, trois participations seulement, mais treize communications, chiffre record pour un seul pays. Sa participation fut
d’ailleurs particulièrement appréciée, car la société italienne avait consacré un numéro de sa revue à la publication des communications
dédiées à la Société Belge. La participation néerlandaise était également importante: 19 adhésions, trois communications, mais 14
participations effectives, record de l’assistance pour un pays étranger. La Société néerlandaise garde d’ailleurs le souvenir de ce que c’est
l’exemple du Congrès et de la société belge qui amena les participants à décider qu’ils fonderaient eux aussi une société de numismatique et
publieraient une revue. Elle célébrera le 100e anniversaire de cette décision, qui se concrétisa en 1892, à l’occasion du XIe Congrès, dans le
lieu où elle fut prise, le Palais des Académies.
Tout événement important de la Société royale était, à l’époque, accompagné d’un banquet. Celui du premier
Congrès eut le privilège de la présence des quatre présidents d’honneur. D’après le compte rendu succinct que l’on en possède, on a dû porter
de nombreux toasts ... Les participants se rendirent aussi à Anvers, ils visitèrent le Cabinet des médailles de Bruxelles et furent reçus avec vin
d’honneur à l’Hôtel de Ville de la capitale.
Si la Société royale n’a jamais eu de liens officiels avec la Société hollandaise-belge des Amis de la Médaille
d’Art, plusieurs de ses membres y ont joué un rôle important et tout particulièrement Alphonse de Witte, Victor Tourneur et Marcel Hoc. Il était,
dès lors, normal de rappeler son souvenir en la présente année jubilaire. C’est pourquoi le tome CXXXVII de la Revue publie, sous la plume
de MM. Arsène Buchet et Jacques Toussaint, un résumé de son histoire, ainsi que de celle de la société royale « Les Amis de la Médaille
d’Art», qui prit sa succession en 1920. Nous nous permettons donc de renvoyer le lecteur à cette intéressante contribution.
Cette évocation se justifie d’autant plus que c’est cette société hollandaise-belge qui proposa à la Société royale
de numismatique d’organiser de concert, en 1910, un nouveau congrès international, le troisième de la série, le second s’étant tenu à Paris en
1900. Les décisions furent rapidement prises et il fut notamment convenu que le Congrès serait divisé en deux sections, une de numismatique et une
de médailles contemporaines. Dès le début de 1909, le prince Albert de Belgique avait accordé son Haut Patronage. Il monta sur le trône en
décembre.
Quatre jours furent consacrés au Congrès, du 26 au 29 juin 1910. Comme en 1891, la distinction était faite entre
l’adhésion et la participation effective. Mais les chiffres furent beaucoup plus importants : 503 adhérents et près de 200 participants. À la
suite d’une démarche du Ministre des Affaires Étrangères, neuf pays furent officiellement représentés par un délégué : la Bavière, la
Bulgarie, le Danemark, l’Espagne, la France, l’Italie, les Pays-Bas, la Roumanie, la Russie et le Duché de Saxe-Cobourg-Gotha.
Nous ne rappellerons pas le détail de ce Congrès, dont l’organisation se calquait sur celle du précédent. Signalons
cependant qu’au même moment était organisé, au Palais du Cinquantenaire, le salon international de la médaille contemporaine. Comme en 1891, des
Actes furent publiés. Leur succès fut considérable ; l’édition fut très rapidement épuisée.
Tout ce que nous avons décrit jusqu’ici, la Revue, les publications, les communications scientifiques, les
congrès internationaux, les frappes de jetons et de médailles témoignent d’une grande application et pour tout dire d’un très grand sérieux. Mais
les auteurs de tous ces travaux se limitaient-ils à des activités austères ? Et bien, non ou, plutôt, pas toujours.
Renier Chalon fut à cet égard un exemple frappant. Au cours de sa longue présidence, il a non seulement remarquablement
dirigé la barque de la Société, mais il a aussi écrit de nombreux articles de grande valeur. Il était simultanément, un grand farceur et il
adorait mystifier les gens. C’est ainsi qu’en 1847, il fit frapper de curieuses médailles, prétendument réalisées pour le compte du grand-maître
d’un société secrète et ancienne, l’ordre des Agathopèdes, dont les membres s’intitulent les Pourceaux, le grand-maître étant le Grand Pourceau.
Chalon voulait simplement se moquer des allures très secrètes de certaines loges, mais il réussit bien davantage : ce jeton a été repris dans le
très sérieux ouvrage de Victor Tourneur et ses exemplaires — numérotés — sont aujourd’hui extrêmement recherchés.
Mais ce n’était pas là son coup d’essai. En 1840, Chalon avait monté une supercherie extraordinaire, à échelle
européenne. Il avait composé, fait imprimer et diffusé tous azimuts, le Catalogue de la bibliothèque du Comte de Fortsas, à disperser en
vente publique après décès, par un notaire aussi imaginaire que l’étaient le Comte et sa bibliothèque. Celle-ci était prétendument composée
exclusivement de pièces uniques. Ce fut une avalanche d’enchères, clôturée par un énorme éclat de rire, mais de rire jaune pour ceux qui
s’étaient laissés prendre.
Mais Renier Chalon n’était pas seul dans son genre. Ce sont les membres qui, dans leur ensemble, sont de joyeux
compagnons et de joyeux convives. Nous avons d’ailleurs déjà vu que c’est entre une poire et un fromage, sous le couvert d’une liqueur généreuse
que la Société était née. C’était un bon départ. C’était aussi le temps des repas aux menus interminables, avec plusieurs services,
entrecoupés d’entremets destinés à raviver l’appétit. Quant aux caves belges, elles ont toujours été bien garnies. On peut dire que pendant des
décennies, toutes les activités sérieuses de la Société sont suivies d’un joyeux repas entre les membres. Mais il régnait à ce sujet la plus
grande discrétion. Tant la Revue que les archives ne nous révèlent presque rien et ce n’est que par inadvertance qu’il est dit, par-ci,
par-là, qu’après une réunion, les membres se sont réunis dans tel ou tel restaurant. Cette discrétion était tout à fait délibérée et on en
voit la preuve à l’occasion de la célébration du 25e anniversaire de la fondation de la Société. Elle eut lieu le 1" juillet 1866, date de
l’assemblée générale statutaire. Mais au cours de cette assemblée, on ne parla de rien. La célébration se fit au cours d’un « brillant banquet
chez le restaurateur Dubos», auquel le Ministre de l’Intérieur assistait. Nous ne l’apprenons par aucun procès-verbal, mais par un bref article
publié dans L’Écho du Parlement du 3 juillet 1866, reproduit dans la Revue. Certains membres trouvèrent que c’était insuffisant pour
un événement aussi mémorable, mais ils n’eurent pas gain de cause. Dans le procès-verbal de l’assemblée générale du 5 juillet 1868, on lit:
« La proposition de M. Le chan. Béthune de publier in extenso le procès-verbal de la séance et de la fête du XXVe
anniversaire de la fondation de la Société, n’est pas adoptée à cause du caractère tout intime que présentait cette manifestation ».
Comment se présentaient ces banquets? On y portait, à n’en pas douter, de nombreux toasts, comme on le fit au banquet du
Ier Congrès International. Mais il y avait aussi les jeux de l’esprit, dont la Revue n’a jamais soufflé mot. Nous ne l’apprenons que de
manière tout à fait incidente. Les archives de la Société gardent ainsi, sans doute presque par hasard, quelques témoignages rimes. Ce sont des
documents joliment imprimés, que l’on n’ose guère qualifier de «poèmes» car ils rappellent plutôt les exercices que l’on imposait, naguère, aux
élèves des classes de poésie. Il n’est pas douteux que les quelques documents qui subsistent ne sont qu’une petite partie de tous ceux qui ont pu
être établis et qui n’ont pas été jugés dignes de la postérité, pas plus d’ailleurs que les menus. Le plus ancien est signé Ch. Maus et il est
intitulé « Les vieux pots et les vieux sous» et il est déclaré écrit « à l’occasion du dîner où se trouvaient réunis à Namur, le 9 mai
1880, des membres de la Société Archéologique de cette ville et la Société Royale de Numismatique ». À une certaine époque, le relais fut
repris par un membre français, Auguste De Meunynck, membre honoraire, qui dirigeait le musée numismatique de Lille. C’était un assidu de toutes les
assemblées annuelles et s’il était un numismate confirmé, il était aussi «maître ès-jeux poétiques de l’Athénée des Troubadours de Toulouse
» ... Ses œuvres ne sont pas de la grande littérature. Mais elles sont très révélatrices du milieu social où se recrutaient les membres de la
Société. Ce n’étaient pas seulement des collectionneurs ou des spécialistes, mais aussi des gens de bonne culture, qui s’adonnaient volontiers à
la littérature et aux arts. Parmi ces poèmes, le plus évocateur est sans doute celui qui fut lu au banquet qui suivit l’assemblée générale du 19
juillet 1896. De Meunynck le dédie à «mes collègues de Belgique » et l’intitule « Numismates et numismatique, fantaisie archi-poétique faite
sur une rime unique». Cette rime unique est évidemment celle de la numismatique.
8 mars 1914: l’assemblée générale, réunie à Bruxelles, adopte à l’unanimité l’ensemble des propositions
présentées pour la célébration solennelle du 75e anniversaire de la Société en 1916.
4 août 1914: la Belgique est envahie. Les troupes allemandes entrent à Bruxelles seize jours plus tard. Le Bureau de la
Société décide aussitôt de suspendre toutes activités tant que durerait l’occupation. À ce moment, trois fascicules de la Revue de 1914 étaient
déjà sortis de presse; la préparation du quatrième était avancée; elle fut arrêtée pour être achevée en 1918, dès la libération.
L’assemblée générale du 4 mai 1919 fut l’occasion de dresser un lourd bilan. Certes peu de membres de la Société
s’étaient trouvés dans la condition de participer aux opérations militaires. On déplorait cependant la mort au champ d’honneur du major Jules
Dugniolle. Mais la Société avait été elle-même gravement atteinte dans ses biens.
Le Palais des Académies, où la Société disposait de locaux où étaient déposées ses archives, sa bibliothèque et
ses collections, fut occupé par l’armée allemande, qui y installa un hôpital auxiliaire. Alerté, Victor Tourneur, à l’époque secrétaire, se
précipita sur place pour s’entendre dire que les collections avaient été mises dans une pièce fermée à clé et dont l’accès était formellement
interdit. Rien ni des collections, ni des livres, ni des archives ne pouvait être enlevé et toutes protestations furent vaines. En 1915, Victor
Tourneur apprit que tout avait été cette fois déménagé dans un grenier et que cela avait été la curée ; l’autorité allemande aurait ouvert
une information et plusieurs militaires auraient été jugés et condamnés pour avoir volé des médailles et des monnaies. Le médecin-chef assura
cependant que de nombreuses médailles et monnaies avaient néanmoins pu être mises en lieu sûr dans des caisses scellées, mais que de toute
manière rien ne serait accessible aussi longtemps qu’un hôpital militaire demeurerait installé. Multipliant les démarches, V. Tourneur finit par
être autorisé à emporter ce qu’on retrouvait des archives, mais ce fut tout. Dès la fin de l’occupation, il se précipita sur place pour
découvrir, dans un grenier, un immense pêle-mêle de livres de la Société et d’autres institutions établies, elles aussi, dans le Palais. Les
rayonnages avaient disparu, utilisés disait-on, pour faire des cercueils. Il reprit possession de tout ce qu’il retrouva de la bibliothèque. Il ne
semble pas que l’on ait pu établir un inventaire de ce qui était perdu. Quant aux collections elles-mêmes, il n’en restait plus rien à la seule
exception de quelques pièces isolées.
Mais le préjudice matériel de la Société ne se limita pas à la perte d’une partie de ses archives, d’une partie de sa
bibliothèque et de la totalité de ses collections. En 1914, la Société était à la tête d’un patrimoine important placé en fonds d’État. C’est
l’inflation cette fois qui lui fit perdre la plus grande partie de sa valeur. La Société tomba de l’opulence dans un quasi-dénuement.
Ce fut le début d’une période de difficultés financières et d’un insensible déclin. La parcimonie s’imposait. Une
première mesure est prise en 1920 : on modifie ce qu’en termes techniques on appelle la justification, c’est-à-dire le nombre de lignes sur une page
normale de texte et de caractères ou de blanc sur une ligne. On parvient ainsi à réduire le coût non de la composition, mais de l’impression. Mais
on va surtout réduire le nombre de pages. La chute est en dents de scie et le creux de la vague est atteint en 1937 et 1938 avec 126 pages seulement.
Mais le risque existe de s’enfermer dans un cercle vicieux : si le nombre des membres effectifs et celui des correspondants restent toujours voisins
des limites fixées, le nombre des associés étrangers diminue insensiblement d’année en année. C’est en 1939 que l’on est au plus bas; les membres
effectifs, les correspondants et les étrangers sont au total de 120. Si l’ampleur de la Revue se réduit, les assemblées générales sont,
elles, toujours régulièrement tenues et on y fait toujours d’intéressantes communications. Le mécénat de graveurs et d’éditeurs permet de
maintenir la frappe de jetons de présence à la cadence d’un type par période triennale. En revanche, désormais, toutes les autres frappes, dont on
était si friand, deviennent exceptionnelles. La collection de monnaies et de médailles ne se reconstitue que dans une mesure extrêmement modeste.
Jusqu’en 1927, la Revue mentionne encore quelques acquisitions périodiques mineures, puis c’est le silence complet. La bibliothèque,
amoindrie par les pertes de la guerre, parvient, elle, à se reconstituer progressivement, grâce notamment aux échanges de publications. Mais, en
pratique, elle est de moins en moins consultée pour la raison qu’elle est moins accessible que celle du Cabinet des médailles tout proche, dont les
dirigeants ont des liens étroits avec la Société.
Le capital a pratiquement disparu. Placé, avant la guerre, en fonds d’État à 3%, il subit dès la fin des hostilités,
et à raison de la faiblesse de cet intérêt, une décote importante en valeur nominale, sans oublier qu’il s’agit désormais de francs papier et non
plus de francs or. L’exercice 1919 est en perte. Le trésorier de Roissart et deux autres membres font des avances sans intérêts. En 1921, le
patrimoine est entièrement absorbé et la situation globale est déficitaire. Un appui de la Fondation Universitaire permet, en 1923, d’équilibrer
le budget. Ce n’est qu’en 1925, qu’on se hasarde à augmenter la cotisation et de manière encore modeste : elle passe à 40 francs, puis, en 1931, à
50 francs. Ces chiffres n’ont plus aucun rapport avec ce qu’il fallait payer avant la guerre. Un équilibre précaire est cependant atteint et un
modeste patrimoine se reconstitue. Il est, fin 1940, d’un peu plus de 21.000 francs, c’est-à-dire en francs papier, beaucoup moins qu’il n’était, en
1914, en francs or.
Mais les épreuves n’étaient pas finies. La Belgique est à nouveau envahie en 1940 et, comme au cours de la première
guerre mondiale, la Société décide d’interrompre toutes activités officielles jusqu’à la fin de l’occupation. Quelques membres gardèrent
toutefois le contact. Cette fois les archives et la bibliothèque ne souffriront d’aucun vandalisme et le patrimoine reste théoriquement intact. Au
contraire, il s’accroît en valeur nominale, car si la suspension de la publication de la Revue fait pratiquement disparaître tous les frais,
les intérêts des quelques emprunts possédés continuent à être encaissés et la vente d’anciens numéros ne cesse pas. Mais cela n’est vrai qu’en
valeur nominale car une nouvelle inflation frappe le pays. La publication de la revue ne peut pas reprendre immédiatement après la libération, car
il est impossible de s’approvisionner en papier. Un seul numéro couvrira dès lors la période 1940-1946. Mais le 2 mars 1947, le président doit
annoncer qu’après l’impression du tome de l’année, il n’y aura plus rien en caisse. Le nombre des membres effectifs, correspondants et étrangers
est descendu à 113.
La Société pouvait paraître exsangue et condamnée à disparaître. Or ce fut exactement le contraire qui se produisit
: c’est le début d’un renouveau. Tous y œuvrèrent, mais il faut mentionner plus particulièrement Marcel Hoc, qui fut président avant de devenir
président d’honneur, numismate éminent, auteur des Monnaies de Tournai, qui fut aussi le premier à enseigner la numismatique dans une
université belge, ainsi que l’entrée, à l’époque, au Bureau, de deux jeunes membres, Monsieur Jean Jadot comme trésorier en 1948, Monsieur Paul
Naster comme secrétaire en 1949. Deux tempéraments très différents qui firent merveille, chacun dans le domaine qu’il dirigea. Tous deux
poursuivirent ensuite le cursus honorum et devinrent l’un et l’autre président. La Société d’aujourd’hui porte profondément leur empreinte.
Les quelque quarante dernières années de la Société pourraient, comme celles de l’âge d’or, paraître sans histoire,
car elle n’a au cours de cette période connu ni catastrophe, ni secousses et le seul événement mémorable est la célébration, en 1966, du 125e
anniversaire. La période est cependant remarquable, car ce fut celle d’un progrès lent mais constant, concentré sur deux activités essentielles :
la Revue qui a pu progressivement s’étoffer et revenir à un nombre de pages nettement supérieur à ce qu’il était entre les deux guerres,
les réunions périodiques qui se sont progressivement multipliées, car de deux par an elles sont passées aujourd’hui à une moyenne de huit avec,
chaque fois, à l’ordre du jour, des communications intéressantes.
Mais d’autres activités, naguère florissantes, ont été abandonnées. En 1946 fut frappé le dernier jeton de
présence. L’autre de mécène, la Société fut contrainte d’y renoncer. Elle n’a pas cherché davantage à étoffer une collection, du moins
jusqu’en 1972 lorsque l’abbé De Potter lui légua tout ce qu’il possédait en fait de jetons et de médailles qui la concernaient. La Société a
abandonné l’ambition de se constituer une collection générale, mais elle garde un intérêt pour tous les témoignages métalliques de sa propre
existence et elle a bénéficié de la générosité de plusieurs donateurs.
La bibliothèque avait continué à s’enrichir par la voie des échanges. Elle dut, par ailleurs, abandonner les locaux
dont elle disposait au Palais des Académies. Elle fut alors confiée à l’Université Libre de Bruxelles. Les membres pouvaient y consulter les
volumes, mais ne le faisaient pratiquement jamais. La bibliothèque constituait ainsi un capital improductif. C’est pourquoi elle fut cédée à
l’Université Catholique de Louvain en 1971, au moment du transfert à Louvain-la-Neuve des facultés francophones. Elle se trouve aujourd’hui jointe
à celle du Département d’Archéologie et d’Histoire de l’Art. Elle est toujours accessible aux membres de la Société.
On pourrait considérer comme achevé le périple à travers 150 années d’histoire, en constatant que les activités de
la Société sont régulières, que la Revue a retrouvé son audience mondiale, que ses membres sont en nombre toujours croissant, que leur
total actuel est supérieur à ce qu’il a jamais été, que la Société a pu se reconstituer un patrimoine appréciable, même s’il n’atteint pas, en
valeur absolue, celui de 1914. On pourrait être tenté de conclure que rien n’a changé. Et cependant il y a eu une double évolution peu remarquée
parce que lente et sans fracas.
À la fondation de la Société, pendant plus de 45 ans, l’appartenance est une exclusivité masculine. Cela correspondait
à l’esprit du temps et ne choquait certainement personne. Les femmes sont peut-être moins que les hommes atteintes du virus de la collection. Leur
adhésion est dès lors plus souvent justifiée par un désir de connaissance ou un intérêt scientifique. Elles se font remarquer par leur
application et par la qualité de leurs contributions à la Revue. Leur affiliation est un enrichissement certain pour la Société qui les
accueille. Ce ne fut cependant qu’en 1885 que fut admise la première femme. Mademoiselle Marie de Man, de nationalité néerlandaise, habitant
Middelbourg. Très érudite et manifestant un grand esprit scientifique, elle devint, en 1889, conservatrice des collections numismatiques du
Koninklijk Zeeuws Genootschap der Wetenschappen. Elle publia de nombreux articles, certains dans la Revue Belge, d’autres dans celle de la
Société néerlandaise. Elle fut, en 1903, élue membre honoraire. Elle décéda en 1944.
Plus de trente ans s’écoulèrent avant l’élection d’une autre femme, Mrs Agnès Baldwin Brett, conservatrice du Musée
de Boston, en 1919. Mais depuis lors, la proportion des femmes au sein de la Société s’est progressivement accrue et aujourd’hui la situation est
fondamentalement modifiée. Certes l’élément masculin reste majoritaire ; on compte deux femmes parmi les cinq personnes physiques titulaires du
jeton de la Société, 3 sur les 15 membres honoraires, 11 sur les 50 titulaires, 22 sur les 119 correspondants régnicoles et 13 sur les 80
étrangers. Mais ces chiffres prennent cependant un relief plus accentué si on tient compte des affiliations récentes. En 1989-1990, six des quinze
nouveaux membres sont des femmes. De 1985 à 1989, on compte neuf femmes contre trente hommes parmi les membres de la Société auteurs de mémoires
publiés dans la Revue. Trois femmes font partie aujourd’hui du Bureau sur les treize membres qu’il compte. La situation actuelle n’est
certainement pas figée ; elle ne représente qu’une étape dans une évolution qui se poursuit et dont on ne peut que se réjouir.
Reflet de la société bourgeoise du XIXe siècle, les membres sont pendant longtemps en écrasante majorité
francophones. C’était évidemment normal pour la partie méridionale du pays. Dans le nord, la situation reflétait directement la situation de
l’aristocratie et de la haute bourgeoisie, dont le français était la langue véhiculaire et dont toute l’éducation s’était faite dans des
établissements où le flamand était ignoré, sinon banni. Le français était la langue exclusive de la revue, des correspondances, des séances,
des communications.
Sur ce point aussi, la Société a évolué, peut-être avec un certain retard par rapport à ce qui se produisait dans
l’ensemble de la communauté belge, mais dans une atmosphère de compréhension réciproque.
La date charnière est 1966, année de la célébration solennelle du 125e anniversaire de la Société. L’allocution du
président en exercice, M. Paul Naster, fut faite dans les deux langues et c’est en néerlandais que M. P. Schlemper, président du Koninklijk
Nederlands Genootschap présenta les félicitations de sa société. C’est en néerlandais aussi qu’au cours de la séance de travail de
l’après-midi, le Dr H. Enno van Gelder fit une communication sur la trouvaille monétaire de Serooskerke. Le volume 1967 de la revue publie le
compte-rendu des cérémonies du 125e anniversaire et le fait dans les deux langues. Cette même année, pour la première fois, le titre et les
sous-titres de la table des matières de la Revue sont bilingues de même que certaines mentions de la couverture. Le même volume toujours
publie en néerlandais une trouvaille et certains faits divers. Dans le rapport du secrétaire qu’il présente à l’assemblée générale du 17 mars
1968, M. Smolderen prend soin de dire que les communications en séance et les articles sont acceptés dans toutes les langues et il ajoute que «
consciente de sa vocation nationale (la société) entend être accueillante à tous et respecter l’appartenance linguistique de chacun ». Désormais
des communications seront fréquemment faites en néerlandais et des articles, des notes et des recensions sont rédigés dans cette langue. En 1980,
le titre de la revue apparaît aussi en néerlandais: « Belgisch Tijdschrift voor Numismatiek en Zegelkunde ». Dernière étape de l’évolution :
les statuts et le règlement intérieur, remaniés le 8 novembre 1986, ont été rédigés et publiés dans les deux langues. La traduction de la
dénomination sociale acquiert un caractère officiel.
Cette évolution n’a pas empêché l’organe de la Société de demeurer une revue à large diffusion, à la portée de la
communauté scientifique internationale. Les articles sont en majorité publiés en français, à côté d’autres rédigés en néerlandais ou en
anglais.
Au terme de notre parcours à travers l’histoire de la Société Royale de Numismatique de Belgique, nous avons surtout le
sentiment des lacunes de notre chronique. Nous n’avons pu qu’effleurer l’immense œuvre scientifique dont la Revue Belge est la dépositaire.
Nous aurions voulu évoquer le souvenir des membres des familles souveraines qui firent à la Société l’honneur de leur accorder leur Patronage,
celui des membres honoraires et celui aussi de tous ceux qui, à tous échelons, firent bénéficier la Société de leur dévouement. Mais cela nous
aurait entraîné bien au-delà des dimensions que pouvait avoir cet article.